`
31.03.2023, 14h-18h
CND Pantin, salle de conférence, 1er étage
En France, au tournant des années 1980-1990, la notation du mouvement a pu se développer en parallèle de l’introduction de la « danse » en tant que discipline dans les universités. Avec la création de cursus spécialisés en notation, notamment celui du Conservatoire de Paris, se développe une démarche critique et réflexive des praticiens formés à un niveau expert, certains s’engageant alors vers des cursus universitaires connexes. Lors de cette demi-journée d’étude réunissant des notateurs ayant suivi une telle démarche, seront abordées des questions de terrain, de corpus et de méthode.
Avec Elena Bertuzzi, Anaïs Loyer, Karin Hermes, Marie Orts et Helena Van Riemsdijk
Programme
Elena Bertuzzi
L’utilisation de la cinétographie Laban dans la recherche en anthropologie de la danse
Afin de laisser une trace de mon utilisation de la cinétographie Laban dans la recherche en anthropologie de la danse au cours des trente dernières années, j’ai soutenu en 2021 une thèse en anthropologie générale qui propose une étude du debaa, un art musico-chorégraphique de Mayotte, d’inspiration soufie. La cinétographie a été utilisée comme principale méthode d’investigation et de réflexion. La thèse a pu démontrer l’intérêt d’examiner les propriétés formelles de la danse pour comprendre des aspects essentiels de la structuration des relations sociales. En plus de fournir un système de codage efficace et cohérent, grâce à la finesse du regard qu’elle permet d’acquérir, la cinétographie m’a permis de mobiliser mes compétences d’analyste du mouvement tant pour décrire les chorégraphies elles-mêmes que les gestes exécutés par les femmes pour cuisiner et préparer la nourriture, pour se déplacer, pour interagir ensemble, pour occuper l’espace. Sur le plan cognitif, la distance que la notation permet entre le mouvement émotionnellement incarné et l’objectivité qu’impose la transcription des signes sur une portée, à travers la décomposition méthodique et minutieuse de tous les éléments constitutifs d’une action, a été indispensable pour faire émerger les notions que j’ai abordées par la suite. Si la notation a encore un sens aujourd’hui, malgré tous les moyens technologiques dont disposent les chercheurs pour enregistrer le mouvement de manière quantitative, c’est bien sa capacité à nous faire réfléchir au-delà des données objectives fournies par les enregistrements, à nous suggérer des pistes de confrontation entre des éléments disparates, à nous permettre de relever certaines correspondances autrement indécelables. Ce sont les enseignements de ce travail, dans un cadre de recherche ethnographique et anthropologique, qui seront exposés lors de cette rencontre.
Marie Orts
Récitisser pour un.e cinétographe
En 2021, je soutiens un mémoire de recherche qui a pour titre Un.e cinétographe, pour une approche non binaire de la graphie. Ce mémoire croise mes pratiques d’artiste chorégraphique, de notatrice de mouvement et se fait à l’aune de projets d’éducation artistique et culturelles, de performances et de créations chorégraphiques qui font la partie pratique de mon corpus. Ce mémoire est aussi l’occasion de mettre en valeur un rapport à la filiation dans une communauté de pensée des notateurs Laban. Cette pensée est disséminée dans les textes qu’ils et elles ont écrit. Rassembler ces discours m’a permis de montrer que ces notateurs et ces notatrices ont constitué un héritage théorique écrit qui est morcelé et que peu de notateurs connaissent dans leur ensemble. Je disais alors que ce mémoire était une forme de reprise dans son sens lié à la couture. Reprendre non pas pour réparer mais pour rapiécer des morceaux isolés et déchirés. Aujourd’hui, il me semble que j’ai d’avantage opéré à un tissage. Entre trame théorique et motifs chorégraphiques il s’agit aujourd’hui d’en faire le récit.
Helena van Riemsdijk
Le système Benesh d’écriture du mouvement, développement et usages dans une pratique professionnelle
Mon sujet de recherche a pris naissance pendant mes études au CNSMDP, où je me suis spécialisée dans le système d’écriture du mouvement Benesh. Tout au long de l’apprentissage de ce système, j’ai pu faire le constat d’un manque à la fois théorique et historique autour de sa création et de son développement technique. En a découlé mon ambition de mettre en lumière les chemins et les réflexions qui ont amené à une théorisation du système et qui ont permis son enseignement et sa consolidation comme système de communication d’un individu à un autre. L’objectif sous-jacent à l’établissement de ce panorama est la compréhension des pratiques quotidiennes et l’usage de ce système dans un contexte professionnel d’enregistrement et reconstruction de pièces chorégraphiques. Pour cette recherche à la fois archéologique et sociologique, je me plonge dans les archives de l’ancien Benesh Institute (maintenant Benesh International), situé à Londres, afin de retracer les échanges, lettres, manuscrits et autres documents écrits qui racontent, de manière indirecte, la genèse et les développements du système. Quand les sources documentaires manquent, je me tourne alors vers les pionniers du système qui ont travaillé et étudié avec Joan et Rudolf Benesh pour récolter leurs souvenirs et mémoires. À travers cette communication je partagerais les premières pistes et analyses menées.
Anaïs Loyer
Cheminement de la notation chorégraphique au sein d’une recherche : de l’anecdote au sujet central
Au cours de ma recherche de master, portant sur l’évolution et les différentes interprétations de L’Après-midi d’un faune de Vaslav Nijinski, j’ai commencé à m’intéresser à la question de la re-création/re-construction d’œuvre chorégraphique à partir de partition en notation du mouvement, notamment grâce au travail de Dominique Brun sur le sujet. Le désir de comprendre ce qui se jouait entre ce qui était écrit, les signes, et ce que je voyais dans les corps des interprètes, m’a poussé à me former à la cinétographie. Pensant obtenir des « clés » de compréhension pour ma recherche, c’est finalement un nouveau champ de questionnement et de curiosité qui s’est ouvert : l’analyse de ce qui se joue entre le signe et son passage dans le corps. J’ai, par la suite, entamé une recherche doctorale pour laquelle, j’ai choisi d’aller à la rencontre de notateur en processus de transmission, pour les voir à l’œuvre, questionner leur place, celle de la partition, mais également celle de l’interprétation dans toutes les strates à laquelle elle intervient.
Karin Hermes
Réinterprétation de l’héritage de la danse. Entre pratique chorégraphique et théorie de la notation / annulé
Au cours du développement des formes de danse moderne et postmoderne, la danse artistique a connu des manifestations diverses et dynamiques. Mon projet de recherche examine quatre œuvres de danse du modernisme créées entre 1929 et 1954 par Kurt Jooss (1901-1979) et Sigurd Leeder (1902-1981), réinterprétées à partir de partitions de danse. Ces chorégraphes ont tous deux souligné l’importance de la notation du mouvement et ont combiné travail et vie personnelle, chorégraphie et pédagogie, ainsi qu’analyse et créativité tout au long de leurs vies. Dans cette recherche, l’accent est mis sur le transfert de connaissances et de méthodes entre les partitions de danse historiques et les interprétations de danse actuelles et leur notation. Le projet s’adresse aux créateurs, chercheurs et éducateurs en danse. Le processus de recherche est cyclique : les partitions historiques sont explorées à partir de l’analyse comparative du mouvement tel que transcrit en cinétographie (1re partie). Les résultats de ces comparaisons constituent la base de la recherche artistique. Cela inclut une propre chorégraphie, sa notation et son analyse basées sur la constructivist grounded theory [théorisation ancrée constructiviste] (2e partie). Dans la dernière phase du projet, le processus artistique est évalué et des résultats artistiques et scientifiques seront développés sur la base d’une réflexion critique de la première partie.
Biographies
Elena Bertuzzi, chorégraphe, notatrice Laban, anthropologue. Diplômée en 1997du Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP) en cinétographie Laban, et docteure en 2021 en anthropologie, après avoir étudié la danse en Italie, en France et aux États-Unis, parallèlement à des études en sciences politiques. Depuis 1980, elle participe comme interprète et chorégraphe à plusieurs créations, en Italie et en France, et est primée en 1988 au concours du Festival d’Orléans. Elle utilise la notation dans le champ de la recherche ethnographique en danse, et enseigne dans ce cadre l’analyse du mouvement et la cinétographie Laban à l’université Paris Nanterre et à l’université Blaise Pascal (Clermont-Ferrand) depuis 1996. Elle a transcrit en partition et reconstruit nombreuses œuvres de répertoire. En 2017, avec Laure Chatrefou, elle obtient le Grand Prix Artelaguna pour l’installation multimédia « Au cœur du debaa » et en 2022 cinq awards pour le film « Un debaa pour le 14 juillet ».
Karin Hermes est diplômée de l’Académie de ballet de Zurich. Elle a travaillé au Staatstheater Stuttgart, au Schauspielhaus Zürich et dans des ensembles indépendants. Après des études en pédagogie de danse à l’université de l’art de Cologne, Allemagne, elle étudie l’analyse et notation du mouvement (système Laban) au CNSMDP (diplôme en 1998). Depuis, elle fait des recherches sur l’articulation entre pratique et théorie de la danse et traite des méthodes d’interprétation des œuvres chorégraphiques historiques. En 2007, elle fonde son ensemble hermesdance qui se produit en France, Angleterre, Brésil, Israël, Allemagne et Suisse. Elle est lauréate du Prix de médiation culturelle du canton de Berne (2017) et du Prix suisse de danse « Patrimoine culturel de la danse » (2015 puis 2019). Actuellement codirectrice d’hermesdance, professeur à la Haute école des arts de Berne et médiatrice de la danse au Ballet Berne du théâtre de la ville, elle termine une recherche doctorale à Anton Bruckner Privatuniversität Linz, Autriche.
Anaïs Loyer accompagne le développement et la production de la compagnie Beaux-Champs, à Paris et de la compagnie /TranS/, à Nice. Parallèlement, elle est chargée de cours à l’université Côte d’Azur, et a rejoint le CTEL (Centre transdisciplinaire d’épistémologie de la littérature et des arts vivants) pour une recherche doctorale sur les processus de re-créations d’œuvres à partir de partition en notation du mouvement Laban, sous la direction de Marina Nordera. Elle est diplômée du CNSMDP (2017) en notation du mouvement Laban. Elle est membre de l’association International Council of Kinetography Laban (ICKL), de l’Association nationale des notateurs du mouvement (ANNM) et de l’Association des chercheurs en danse (aCD). En 2021, elle intègre l’Atelier des doctorants du CND.
Marie Orts a été/est interprète pour les chorégraphes Dominique Brun, Olivia Grandville, Emmanuelle Huynh, Sylvain Prunenec, Béatrice Massin, Madeleine Fournier et pour le compositeur interprète rA. Elle assiste David Wampach, Dominique Brun et Mathilde Rance pour différentes créations. En parallèle, elle devient notatrice Laban (CNSMDP, diplôme en 2019) et fait un master en danse (université Paris 8, 2021). La transmission étant au cœur de ses préoccupations, elle participe à la coordination des actions culturelles de la compagnie des Porteurs d’ombre (Dominique Brun) et devient enseignante à l’École supérieure d’art de Clermont Métropole. À ce jour, elle développe des projets de création et de transmission à partir des outils de notation et d’analyse du mouvement de Rudolf Laban.
Après 5 ans de carrière en tant que danseuse classique au Brésil, Helena van Riemsdijk s’installe en France pour suivre ses études supérieures. Après l’obtention d’une licence en arts du spectacle (2015) puis d’un master en danse (2017) à l’université Paris 8, elle intègre la formation de notation du mouvement Benesh au CNSMDP d’où elle sort diplômée en 2021. Passionnée par la notation du mouvement et le système Benesh, elle poursuit actuellement ses études et ses recherches en tant que doctorante dans le laboratoire Centre d’études des arts contemporains à l’université de Lille (2021) pour y préparer une thèse dans ce domaine de la danse.