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Espace notateurs

Expression, imaginaire. Où en sont les notations ?, 24 novembre 2023

24.11.2023, 10h-17h
CND Pantin, studio 14, 3e étage

Lors de cette rencontre, des praticiens de différents systèmes de notation (Benesh, Conté, Laban) exploreront les stratégies développées au sein des systèmes pour transcrire des éléments du mouvement tels que la dynamique, la nuance, l’intensité, l’énergie, l’expression, l’émotion, les représentations mentales... Ces réflexions seront accompagnées d’une mise en contexte esthétique et historique sur l’expression chez Laban.

Entrée libre, sur réservation : recherche.repertoires@cnd.fr


Programme

Matin - 10h-13h

Introduction, par Marion Bastien (CND)

Eleonora Demichelis, Romain Panassié
Comment communiquer les variations dynamiques dans le mouvement, au moyen de l’écriture Benesh ?

Dans la Grammaire de la notation Benesh (ed. CND, 2000), Éliane Mirzabekiantz définit la notion de dynamique comme « le processus de mise en jeu des forces dans l’exécution des mouvements », et l’associe à « tout ce qui contribue à la signature qualitative du mouvement ». Un bref historique de la standardisation des signes de dynamique est accessible sur le site Benesh Encyclopedia. Cette démarche collective a débuté au milieu des années 1980 au sein du Technical Sub-committee, pour être progressivement intégrée dans l’enseignement du Benesh Institute au début des années 1990. Comment traduit-on les variations dynamiques lorsque l’on « note en Benesh » ? De nombreux signes proposés par Rudolf Benesh ont été empruntés aux mathématiques et à la musique, sans nécessairement en conserver la signification première. C’est ce que vous proposent de découvrir Eleonora Demichelis et Romain Panassié, à partir d’exemples issus de répertoires variés.

Noël Mairot
L’expression et sa notation selon Pierre Conté

Pierre Conté a toujours été sensible à l’expression dans le domaine de l’art – théâtre, musique, danse – et aux liens étroits entre la musique et la danse. En marge de son système, il publie en 1952 La Danse et ses lois dans lequel il explique comment l’action physique et l’expression est fonction de quatre facteurs et qu’un équilibre entre ces quatre facteurs permet la justesse de l’expression. Témoin de son époque, il s’appuie sur l’exemple d’artistes comme la Argentina, Isadora Duncan, le couple Sakharoff, les ballets Jooss – dont il estime, en accord avec les critiques de l’époque, qu’ils sont davantage expressifs que les courants dalcroziens, qui donnent trop d’importance au temps –, ou l’Opéra de Paris, où les maîtres de ballet, notamment ceux issus des Ballets russes, privilégient l’espace et la virtuosité au détriment de la justesse de l’expression.

Estelle Corbière, Olivier Bioret
« Expression », que disent les textes de références en cinétographie ?

Dans les textes de référence majeurs de la cinétographie en Europe/France — Handbuch der Kinetographie Laban, 8 vol. (1945-1950), d’Albrecht Knust, Dictionnaire usuel de cinétographie Laban–Labanotation (1979, trad. française, 2011), Grammaire de la notation Laban, 3 vol. (1999-2011) de Jacqueline Challet Haas — la question de l’expression apparaît. Mais les signes expressément nommés « signes d’expression » y sont très marginaux et leur utilisation est inexistante dans les partitions. La cinétographie étant apparue dans le sillage de la danse d’expression, on aurait pu s’attendre à ce que ces signes y tiennent une place plus centrale. Comment ces signes s’insèrent-ils dans l’architecture d’ensemble du système ? Et qu’est-ce que cette place nous dit de la manière dont l’expression est conçue par les auteurs de ces textes de référence ? Quels autres signes et notions ont pour fonction de colorer le mouvement, d’en moduler le déroulement et de contribuer à l’apparition de dynamiques et d’expressivité ?

Lola Maridet-Coulon
La question de l’expression chez Rudolf Laban : un expressionnisme abstrait ?

Pour toute notation en danse, saisir la manière dont le mouvement est exécuté pose problème. Comment en effet saisir et fixer ce qui ne concerne pas seulement la forme du mouvement, mais sa qualité, sa dynamique, son expressivité ? Cette question revient sans cesse dans les écrits de Rudolf Laban, qui tente d’y répondre de diverses façons au fil des décennies. Cette contribution retracera l’évolution des principales réponses labaniennes dans une perspective historique, et cherchera à mettre au jour la conception du mouvement sous-jacente à ces réponses. Puisque Laban refuse explicitement une conception lyrique de l’expressivité du mouvement, et puisqu’il s’appuie plutôt sur ce qu’il nomme « qualité dynamique », ou « effort » à partir de 1947 pour penser, analyser et noter la manière dont un mouvement est exécuté, nous proposons de nommer son approche un « expressionnisme abstrait ».

Après-midi - 14h-17h

Noël Mairot
Dynamique de la marche selon Pierre Conté et à l’aune des connaissances actuelles

Se déplacer fait partie des expressions naturelles de l’homme : aller vers quelqu’un, fuir, chasser. La marche est un mécanisme complexe et tous les systèmes de notation ont heureusement opté pour une simplification. Nous allons aborder l’écriture de la marche et de ses altérations selon Pierre Conté puis à l’aune des connaissances actuelles en biomécanique humaine. S’il est inutile de surcharger l’écriture pour indiquer une marche normale, il peut être utile de pouvoir écrire des marches différentes, comme le permettent les outils de la notation Conté. Dans sa Grammaire de la notation Conté, Michelle Nadal nous dit que l’« on peut ainsi noter d’innombrables démarches, liées aux styles et aux états émotifs et expressifs ».

Johanna Classe
Présentation du cahier de notation « Le Vasse de Exu »

Le cahier de notation « Le Vasse de Exu » a vu le jour pour les besoins d’une recherche plus large, « La Bouche du monde », menée par Fanny Vignals. Vasse est le nom d’un rythme ; le cahier émet des propositions d’analyse et fait état d’une recherche sur la mise en partitions (Benesh) de la danse pratiquée sur ce rythme. Il met en lumière un pas répétitif et ses variations (ou motifs) - la « marche Vasse » - l’agencement des motifs, leur organisation spatiale et leur dialogue avec les percussions étant variables d’une manifestation à l’autre. Le cahier tente de délimiter la part de liberté (d’improvisation) contenue dans cette danse en dégageant les codes qui la régissent, lesquels sont bien souvent intériorisés mais non « conscientisés » par les pratiquants : codes esthétiques, musicaux, sensoriels. En commençant par statuer sur la posture délicate d’analyste-notateur et sur le choix méthodologique, cette recherche émet des pistes argumentées sur l’usage des dynamiques et du rapport musique/danse de cette danse de transe

Élisabeth Bardin
Paroles, gestes et cinétographie dans la partition Ulysse

Lire la partition (Laban) de Pascale Guénon et Geneviève Reynaud, découvrir une œuvre, Ulysse, un chorégraphe, Jean-Claude Gallotta. Quels sont les éléments utilisés dans une partition qui peuvent éclairer ou révéler tant les caractéristiques d’une écriture chorégraphique que l’imaginaire ou la parole du chorégraphe ? À partir de l’objet de la partition et de la lecture de quelques extraits de la pièce, nous nommerons les signes, les familles de signes, qui viennent colorer sa danse, et participer à l’expression de sa dynamique. Entre règles de cinétographie, subjectivité et notre propre construction perceptive, partons à la recherche de ces éléments pouvant permettre d’entrer dans l’imaginaire et l’expression des « chansons de gestes » de Gallotta dans l’œuvre Ulysse.

Faustine Aziyadé
De l’imaginaire dans la danse-théâtre d’Anna Sokolow à travers deux partitions

Les mots et les formes sont sources d’imaginaires individuels et collectifs. À partir des partitions (Laban) des pièces d’Anna Sokolow, Rooms (1955), tableau « The End » (notateur Ray Cook) et Magritte, Magritte, homage to the Belgian Surrealist Painter, René Magritte (1970), tableau « The Lovers », notatrice Ilene Fox, je propose d’analyser ce qu’apporte la présence des mots dans la partition pour l’expressivité de la danse. En quoi ces mots éclaircissent les cinétogrammes et donne des précisions à la forme ? Que cela soit de façon déterminée dans le temps ou de façon globale sur les tableaux des pièces concernées. Ces mots, peuvent-ils être considérés comme des didascalies, sont-ils une stimulation ou en enfermement de l’imaginaire pour l’interprétation de la partition ? Une ouverture sur la place du langage en rapport à la partition sera proposée pour le rôle du notateur et du transmetteur, cette question semble centrale pour l’interprète qui n’est pas forcément lecteur.

Yoko Sobue
Butō, butō-fu et notation Benesh. Récit d’une expérience

En 2016, j’ai eu la possibilité de noter une pièce butō de Tatsumi Hijikata, Costume en face / A Primer of Darkness for Young Boys and Girls (1976). J’ai pu m’appuyer sur la transmission du danseur principal, Moé Yamamoto, et sur des notes en butō-fu (ou « notation poétique du butō », système développé par Tatsumi Hijikata dans les années 1970, consistant en mots, dessins, peintures, évoquant personnages, sensations, imaginaires). L’enjeu pour ma partition était de traduire une manière de pensée japonaise qui représente l’univers poétique et la sensation intérieure, dans un système occidental logique ou rationnel. Afin de résoudre ce paradoxe, j’ai construit la partition à partir de mes notes issues de la transmission, en ajoutant au-dessus de la portée des éléments de butō-fu, tels que noms correspondant aux mouvements et aux états intérieurs et dessins. Par cette partition hybride, j’ai fait en sorte de ne pas modifier par un système de notation ce qui est caractéristique du butō, mais plutôt de permettre à ce système d’approcher du butō.

Christine Caradec
Une image, du texte : points de bascule d’un imaginaire

Totentanz I de Mary Wigman n’était plus au plateau depuis un siècle lorsque le théâtre d’Osnabrück me sollicite pour rejoindre son équipe sur le projet de reconstruction, recréation, réactivation de cette œuvre pour 4 danseuses. Alors que seuls des croquis de parcours et quelques cinétogrammes sont connus et reconnus comme insuffisants pour permettre une reconstruction de cette chorégraphie, la découverte de notes textuelles manuscrites réalisées dans les années 1930 permettent de démarrer un travail de recréation. Une trajectoire se dessine, alors que deux éléments supplémentaires viennent complètement chambouler, puis transformer la dramaturgie de la pièce, son expression, et l’imaginaire convoqué.


Biographies

Faustine Aziyadé a une formation de danseuse et comédienne. Elle passe son diplôme d’État de danse contemporaine en 2020, car la pédagogie lui semble nécessaire pour l’acte de création. Pour nourrir son rapport au mouvement, elle s’intéresse aux pratiques labaniennes et est actuellement en 2e cycle de cinétographie au Conservatoire national supérieur de musique et de danse de Paris (CNSMDP). Elle enseigne l’écriture du mouvement à l’université de Besançon et à l’université de Strasbourg, où elle enseigne également la théorie théâtrale. Elle fait le lien entre pédagogie et création à travers divers projets sociaux. Riche de ces expériences, elle crée des performances hybrides au sein de sa compagnie « La Libre ».

Élisabeth Bardin débute comme interprète pour le chorégraphe Denis Detournay en 2004. Elle collabore ensuite avec des metteurs en scène dont Sophie Belissent, Jean-Baptiste Phou et des plasticiens Yo Claux, Yang Min. Entre 2014 et 2017, sa rencontre avec le chorégraphe ErGao à Canton en Chine, l’amène à questionner les notions d’improvisation et de performance. De retour en France, en 2019, elle débute une formation en notation Laban au CNSMDP. Elle est titulaire d’une maîtrise en Arts du spectacle mention danse (2004) et du certificat d’aptitude (2022). Elle enseigne actuellement au Conservatoire à rayonnement régional de Lyon.

Formé au Conservatoire de Paris (CNSMDP) en danse contemporaine, Olivier Bioret commence en 2007 une carrière d’interprète auprès des chorégraphes Claire Jenny, Hervé Robbe ou Béatrice Massin. Formé à nouveau au Conservatoire de Paris en cinétographie Laban, il obtient en 2014 son diplôme de second cycle avec les félicitations du jury. Il met en pratique cette formation à travers des remontages d’œuvres (Fan Dance, d’Andy De Groat, Water Study de Doris Humphrey, Sehnsucht de Karin Waehner) et intègre les outils labaniens d’écriture dans des contextes pédagogiques variés. Auteur de plusieurs pièces (dont Un Autre saint Sébastien, en 2011 et Hortichorégraphie en 2017), il trouve dans la création un autre terrain d’expérimentation pour la notation. Membre du Research Panel d’ICKL, il a réalisé une partition intégrale de Romance en Stuc de Daniel Larrieu soutenue par l’Aide à la recherche et au patrimoine en danse (Centre national de la danse). Il enseigne aujourd’hui la cinétographie au CNSMDP.

Johanna Classe est danseuse, comédienne, assistante metteure en scène. Elle est aussi chorégraphe notamment au service du théâtre. Elle se forme en théâtre et mime corporel à l’école Jacques Lecoq et en danse à l’école de la FUNCEB à Salvador-Brésil. Elle se passionne pour les danses rituelles et traditionnelles du Brésil et développe cette recherche avec la compagnie Biscoitinho qu’elle crée en 2009. Elle participe en 2020 au projet de recherche « La Bouche du Monde », mené par la chorégraphe Fanny Vignals, aux côtés de l’anthropologue Laura Flety et du vidéaste Maxime Fleuriot. Elle appartient au Collectif Entre-Lignes avec lequel elle co-crée Par le Bout des Doigts, un « spectacle conférencé », et développe des projets visant l’accès des publics éloignés à des œuvres du répertoire, notées en Benesh. Elle est diplômée du 2e cycle de notation du mouvement - Choréologue Benesh du CNSMDP depuis septembre 2023.

Estelle Corbière est diplômée du CNSMDP en notation du mouvement Laban en 2010.
Elle écrit les partitions des œuvres Révolution et Tragédie d’Olivier Dubois, avec le soutien de l’Aide à la recherche et au patrimoine en danse (Centre national de la danse) en 2013 et 2014. Elle présente ce travail au congrès ICKL (International Conference of Kinetography Laban) en 2015 à Tours.
 En 2013, elle participe au documentaire Écrire le mouvement, réalisé par Marion Crépel et Bertrand Guerry, qui présente au grand public différentes utilisations de la notation dans les champs chorégraphiques, pédagogiques et thérapeutiques. 
Depuis 2014, elle assiste le chorégraphe Bruno Benne dans ses créations.
Praticienne de Body-Mind Centering spécialisée en développement moteur du nourrisson, elle intervient auprès de différents publics (psychomotriciens, architectes, pédagogues, etc.). 
Elle enseigne l’analyse et l’écriture du mouvement Laban au CNSMDP depuis 2021.

Eleonora Demichelis est née en Italie. Interprète pendant une dizaine d’années dans différentes compagnies européennes, Eleonora sort diplômée de notation Benesh en 2002. D’abord engagée par le Théâtre de Leipzig, elle travaille aux côtés d’Uwe Scholz. Puis elle poursuit sa carrière de choréologue et répétitrice au Het Nationale Ballet d’Amsterdam. En tant que répétitrice indépendante, Eleonora est invitée pour enseigner le répertoire et transmettre les œuvres chorégraphiques de Rudi Van Dantzig, Toer Van Schayk et David Dawson aux Ballet National Finlandais, Ballet Royal Suédois, Ballet Royal des Flandres, Ballet National Hongrois, Semperoper de Dresden, Ballet de Coblence en Allemagne… Depuis 2020 elle est professeure d’écriture Benesh au CNSMDP.

Noël Mairot est ingénieur du Conservatoire national des Arts et métiers, actuellement enseignant en danses de société. Il découvre le système Conté auprès de Michelle Nadal avec qui il réalise une série de cahiers pédagogiques à l’aide d’un logiciel d’écriture musicale, puis en 2010, réalise les exemples de la Grammaire de la notation Conté éditée par le Centre national de la danse. De 2008 à 2010, il participe aux jurys de troisième année de « formation corporelle et musicale du danseur et du musicien – notation Conté », dans les conservatoires de la Ville de Paris. En 2017, il collabore, avec Catherine Bros et Florence Huyche, au projet François Malkovsky, Pierre Conté : Trajectoires croisées autour du mouvement.

Lola Maridet-Coulon, ancienne élève de l’École normale supérieure de Paris et agrégée de philosophie, a consacré son premier travail de recherche à la question du lien entre mouvement et émotion chez Rudolf Laban. Elle poursuit à présent en doctorat en s’interrogeant sur la réception du spectacle de danse, plus précisément sur les émotions que celui-ci est susceptible de produire et sur les moyens mis en œuvre par les chorégraphes et les danseurs pour les susciter. Rattachée à l’Université de Strasbourg, elle enseigne au sein de la licence Études chorégraphiques.

Romain Panassié est danseur, notateur-reconstructeur (choréologue Benesh) et pédagogue spécialiste en AFCMD. Formé au CNSMDP en danse contemporaine et en écriture Benesh, il danse pour différents chorégraphes et mène des projets de transmission de répertoire. Professeur de notation Benesh au CNSMDP, il donne des cours et ateliers de danse contemporaine et enseigne l’analyse du mouvement auprès de différents publics. Membre du Conseil Artistique des Carnets Bagouet, il s’intéresse au répertoire de Trisha Brown, ainsi qu’aux danses anciennes et traditionnelles. En 2018, il publie en collaboration avec Sophie Rousseau et Martine Truong Tan Trung Temps, Rythme et Mouvement – des outils pour la transmission en danse et en musique aux éditions Delatour.

Yoko Sobue est diplômée de l’université d’art de Tokyo Zôkei, elle exerce en tant que designer mobilier puis s’oriente vers la danse. Elle travaille avec Pappa Tarahumara au Japon et avec la Deddy Luthan Dance Company en Indonésie. Elle obtient son diplôme de notation Benesh au CNSMDP et reçoit l’aide à la recherche et au patrimoine en danse du CND en 2014, 2016 et 2021 pour noter Fujimusumé, pièce Nihonbuyô de l’école Bandô, Costume en face de Tatsumi Hijikata et une pièce de danse balinaise classique Legong Playon. Depuis 2016 elle participe aux projets de danse balinaise et javanaise avec Pantcha Indra et collabore avec un ensemble franco-japonais Gaden. En 2021 elle reçoit au Japon le diplôme de Natori (professeur) de Jiuta-maï de l’école Furusawa avec le nom de scène Yûryô Furusawa.